Il leur a volé la vedette. Les convives de la cérémonie d’inauguration de Biden ont pourtant tout fait pour qu’on admire leurs belles fringues. Mais rien n’y a fait, pas même la robe de Lady Gaga.
Ce que tout le monde aura retenu, c’est lui.
Enfin elles plutôt : les moufles de Bernie Sanders.
Ce cliché immortalisé par Brendan Smialowski ne montre rien de plus qu’un Bernie assis sur une des chaises de la tribune, le masque vissé sur son visage concentré.
Il écoute attentivement mais il a froid et somnole un peu. C’est la raison pour laquelle il porte des moufles : un détail qui n’aura échappé à personne.
La suite de l’histoire, tout le monde la connait :
Amusés, les internautes se mettent à détourer Bernie Sanders de la photo pour le mettre en scène dans des mèmes qui seront partagés frénétiquement sur la toile.
I love this take on Edward Hopper’s 1942 oil painting Nighthawks. #BernieSanders pic.twitter.com/xm1hGEM11w
— LynzD (@LynzD_9oh6) January 21, 2021
Due to Covid-19, this year’s Bernie Man will be on the Moon @berniesanders @nasa #moon #burningman pic.twitter.com/3yLaAMNtm0 — Ken Nickerson (@kcnickerson) January 21, 2021
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On passe combien de temps sur les réseaux sociaux ?
La vague Bernie Sanders a rapporté beaucoup d’argent
La couverture médiatique du phénomène est telle que Sanders lui-même a profité du détournement de son image pour vendre sur sa propre boutique des produits dérivés à son effigie – et celle de ses moufles.
Il aurait levé 1 800 000 dollars en cinq jours et aurait déclaré reverser les bénéfices à des organisations caritatives du Vermont.
Et puis, les idées business ont fleuri :
Fan de crochet, elle crée une adorable peluche de Bernie Sanders avec ses moufles
Plus d’infos : https://t.co/XlaLEWyeao pic.twitter.com/Kk1eDOLMKb
— Creapills 💊 (@creapills) January 23, 2021
2 raisons pour lesquelles le mème vous concerne
1. Beaucoup de business ne communiquent qu’avec les mèmes
Le mème n’est pas (uniquement) un simple phénomène de sous culture du web. C’est aussi un format de contenu de communication.
Cette marque de maquillage, par exemple, n’utilise que des mèmes sur Instagram car elle sait que son public est composé de personnes issues de la génération Z.
Autre exemple : ce compte Instagram a pour thématique la finance et ne communique essentiellement qu’à travers les mèmes.
Les mèmes ont un énorme potentiel pour rendre vos messages de communications plus fun, plus jeunes tout en allant droit au but.
Par extension, le mème explique la popularité des vidéos de TikTok, qui peuvent être apparentées à des mèmes filmés.
Ça ne veut pas dire que vous devez absolument en faire ! Toutefois, si l’envie vous tente, pensez à bien les contextualiser, à faire preuve d’ironie et d’autodérision et de vous armer d’une excellente stratégie ! Pour vous aider, voici quelques idées de mèmes populaires des années 2010
2. Le reflet d’une société
Les mêmes permettent d’expliquer des sujets de société. Le phénomène Karen étant un bon exemple de discussion récente au sujet de racisme, d’identité ou de conflit générationnel. La jeune génération s’en sert à foison pour identifier ce qui, selon elle, pourrait ralentir ce qu’elle voit comme un progrès vers une société plus juste ou égalitaire.
De manière générale, beaucoup de personnes s’en servent comme moyen d’exprimer leur avis ou pour argumenter un sujet.
C’est la raison pour laquelle on en trouve énormément en commentaire ou dans les groupes de communautés.
On peut certes trouver regrettable qu’un mème tienne lieu et place d’un argument bien construit avec des mots.
Mais apprendre à les connaître, comprendre leur fonctionnement et leur signification est une façon de ne pas vous exclure et saisir ce qui se dit. Les neurchis de mèmes sont très politisés par exemple. Connaître leur existence, c’est comprendre pourquoi des centaines de personnes se donnent rendez-vous sur des pages Facebook.
Quoi qu’il en soit, cet incroyable engouement autour d’une simple photo nous force à nous poser la question suivante :
L’effet de participation collective
On peut déjà s’interroger sur le nom qui vient du grec ancien μίμημα et signifie : quelque chose qui est imité.
Ça donne le ton : avant même d’être créé, le mème a la vocation d’être recopié.
Ce n’est pas la photo qui est virale
Ce qui a permis à la photo de faire le tour du monde, c’est précisément grâce aux détournements.
- D’abord, chacun peut participer et se sentir l’auteur du phénomène sans avoir de compétences techniques particulières (ici, il suffisait de détourer Bernie et de le coller ailleurs, des sites proposaient même de télécharger l’image déjà découpée).
Cet effet de participation collective crée un engouement créatif et compétitif qui amplifie le phénomène viral.
- Ensuite, le mème apporte une nouvelle visibilité à la photo en créant un contenu sémantique assez complexe et réservé aux initiés qui le comprennent – c’est loin d’être tout le monde.
Le fait que chacun l’interprète à sa façon contribue à la viralité du mème.
Les 3 critères du succès
Gianluca Stringhini, un expert du mème et chercheur en cybercrime s’est penché sur la question et a publié une étude sur le phénomène des mèmes.
Pour expliquer les caractéristiques de ce que les mêmes viraux ont en commun,
Il décortique l’image en 3 critères :
- la composition
- le sujet : est-ce un personnage ? A-t-il une pose ou une expression particulière ?
- l’audience : est-ce facile à comprendre ou faut-il avoir des connaissances spécifiques avant de partager ?
Ensuite, il distingue aussi trois autres indicateurs qui caractérisent la viralité des mèmes :
- Le portrait très serré d’un personnage
- Une forte émotion positive ou négative
- Une posture particulière
Enfin, il constate que les images contenant beaucoup de texte fonctionnent moins que celles qui ont un message succinct ou qui n’en ont pas du tout.
Le mème de Bernie Sanders présente 2 des 3 caractéristiques :
- Bernie montre une pose amusante (indicateur n°3)
- Son visage dégage une émotion palpable : il a froid et cherche à être confortable (indicateur n°2)
À eux deux, ces critères sont suffisants pour que la photo soit copiée et collée dans des contextes différents.
L’effet de rupture
Pour Annamaria Testa, italienne experte en communication, le succès de la photo s’explique aussi par l’effet de rupture qu’elle apporte ainsi qu’un retour à la normalité :
Papy vs chaman
Le message apaisant que nous donne la photo est en rupture totale avec d’autres photos qui ont été prises peu de temps avant dans le même pays.
L’image du papy assis avec ses moufles sur une chaise pliante rompt avec celle des tatoués à cornes en colère et déguisés en chaman.
Moufle vs gant de boxe
Une moufle est un objet doux et tendre. C’est ce qu’une grand-mère tricote avec une botte de laine. Leur saillance visuelle ont un potentiel visuel et iconique immédiat. Donald Trump a souvent été représenté portant des gants de boxe. La fracture est nette.
Normal vs formels
Les convives de la cérémonie portent des vêtements formels, des masques élégants et sont en mouvement. Ce n’est pas le cas de Bernie qui a choisi un masque ordinaire, des vêtements du quotidien et dort à moitié sur sa chaise.
Ce contraste le positionne comme quelqu’un de parfaitement normal dans une situation particulière.
La culture du web
Enfin, sans internet et ses innombrables rituels, l’image de Sanders n’aurait probablement jamais vu le jour.
Crédit montage photo de l’extrait : compte Twitter @ChairBernie