Écologie et sobriété digitale : lutter contre la pollution en ligne

Maël Perdriolle · Temps de lecture : 10 minutes

On utilise nos téléphones pour se réveiller, faire du sport, mieux s’organiser, manger ou se rappeler de ce qu’on doit faire ; on se divertit sur YouTube ; on écoute des podcasts en courant, en voiture et peut-être un jour sous la douche.

Les écrans sont partout et s’immiscent dans nos vies de plus en plus tôt. Nos chères têtes blondes manient la tablette comme jamais et les bulles de filtre théorisées par Eli Pariser ont changé notre manière de percevoir des informations désormais triées selon nos opinions, nos passions et nos envies.

Pourtant, à ses débuts, internet promettait l’enrichissement culturel et intellectuel des peuples grâce à la mise en relation libre des personnes et la confrontation de leurs différents points de vue.

Qui aurait prédit les fakes news, la cybersurveillance, les discours haineux, les vidéos idiotes et le commerce des données privées des utilisateurs ?

Pire encore, nous sommes de plus en plus nombreux et de plus en plus gourmands, nos comportements en ligne représentent environ 4% des émissions de gaz à effet de serre de la planète, c’est à dire plus que les avions (2 à 3%) et ce chiffre est voué à grossir.

Et s’il fallait réinventer nos manières de consommer pour mieux communiquer, moins nous distraire, nous écouter davantage, prendre soin de nos enfants, mieux dormir et moins polluer ? Bref, et si on avait une approche d’internet plus mesurée, plus raisonnée ?

Certains se sont perdus dans la masse d’information et ont baissé les bras, d’autres essayent de changer les mentalités. Dans la petite lueur tout au bout du tunnel de ce boucan médiatique, les termes de sobriété et d’écologie digitale sont apparus.

Apprenons à reprendre le contrôle au lieu de déclarer forfait

C’est un fait, nous sommes nombreux à nous sentir dépassés par l’effervescence de la surinformation, de la multitude des canaux, plateformes, réseaux, applis, jeux, etc.

On montre souvent du doigt les réseaux sociaux : ils seraient les principaux responsables de l’abaissement intellectuel général causé par le scroll interminable et totalement passif de contenus défilant à toute vitesse aux côtés des publicités, hoax, discours complotistes et vidéos sans grands intérêts.

Mais est-ce bien vrai ?

Derrière les outils, les personnes

Et s’il fallait s’en prendre à nous-mêmes ? Et si cette perte de contrôle était précisément dûe à notre passivité ? Nous sommes nombreux aujourd’hui à déplorer les règles d’un jeu dont on ne veut plus trop jouer mais au fond, qu’est-ce qui nous empêche de ralentir un instant et nous fixer nous-mêmes des limites, nous refuser les contenus abrutissants et s’organiser un minimum pour ne privilégier que ce qui nous enrichit et nous élève vers le haut ?

Rien, en réalité, nous empêche de reprendre le contrôle.

Le digital detox, ça vous parle ?

D’ailleurs, c’est ce que nous faisons un peu déjà comme le montre l’utilisation progressive de WhatsApp, des conversations privées ou comme la création de réseaux sociaux réservés à l’usage familial.

On pourrait même aller plus loin en nettoyant nos emails, en filtrant notre fil d’actu sur Facestagram, ou en pratiquant, comme le font de plus en plus de personnes un digital detox – comprenez un régime numérique – c’est à dire en s’imposant une pause avec les écrans, avec internet ou en se réservant carrément des vacances totalement déconnectées.

Car c’est désormais prouvé : le smartphone à portée de main nous fait manquer de plus en plus de concentration. Se les interdire un instant, c’est redonner de l’attention et créer des liens plus forts avec les personnes qui nous entourent. Vous dormez mal ? L’absence de la fameuse lumière bleue des écrans avant de se coucher permet de retrouver une meilleure qualité de sommeil.

S’accorder du temps en dehors des écrans, c’est se refuser d’être continuellement distrait et sollicité, c’est se permettre de prendre le temps de penser à sa vie et à ce qu’on veut en faire, c’est (re)créer des moments pour soi-même et pour ses proches. Certes, tout n’est pas noir et blanc et même si la déconnexion partielle semble bénéfique, se couper complètement du monde ne serait pas non plus la meilleure des solutions.

Au fond, les réseaux sociaux et la vie en ligne sont rentrés dans les moeurs et ont, tout comme la tv – trouvé refuge au sein de nos foyers et jusque dans nos téléphones. Du coup, face à l’incompréhension d’un monde digital en perpétuelle évolution, plutôt que de rester frustré, de geindre ou de déclarer forfait, si on (ré)apprenait à mieux s’en servir ? Car on sait très bien que ce n’est pas la technologie le problème mais bel et bien ce qu’on en fait et la manière dont on l’utilise.

Apprendre et construire le web

Il n’y a jamais vraiment eu de déontologie globale sur internet mais encore aujourd’hui, nos sociétés s’efforcent d’en établir les règles, les bonnes pratiques et les sanctions. Qui publie encore sur les réseaux sociaux des infos relevant son identité, ses données bancaires ou son adresse postale ? C’est un apprentissage de tous les jours où l’utilisateur et le web apprennent à se connaître l’un l’autre, au gré du temps et des tendances. De ces leçons, est né par exemple un cadre juridique comme la récente loi sur la protection des données – RGPD.

Ces indices montrent qu’il reste finalement tout à construire de l’espace numérique que nous connaissons aujourd’hui et peut-être même en sommes-nous qu’au début d’une évolution des moeurs consistant à mettre un cadre sur ce qu’on a laissé faire jusqu’à présent sur le web.

On n’a pas attendu l’école non plus, qui a fini par emboîter le pas en apprenant aux collégiens comment discerner une source fiable d’une fake news et à hiérarchiser les différents types de contenus pour comprendre qu’un article de blog ne vaut pas un article de presse qui ne vaut pas un post sur facebook, etc.

Idem pour les fameuses tablettes qu’on donne aux enfants. Le suédois Björn Jeffery, plus grand fabricant d’applications de jeu pour enfants au monde a passé des années à réfléchir à la création d’expériences numériques pour les plus jeunes. Dans cet article, il partage son idée selon laquelle il est plus important de se concentrer sur la qualité de nos expériences numériques plutôt que sur la quantité de temps passé devant nos écrans. Le problème à ses yeux n’étant pas l’écran en lui-même mais ce que montre l’écran.

La sobriété numérique : l’art de faire moins

Pour beaucoup de personnes, le web se serait plus qu’un amas de lignes, d’images, de gifs, de vidéos, de médias et de tout un boucan numérique dont on peinerait à tirer quoi que ce soit de qualitatif.

Une sensation d’étouffement, de ne plus savoir que voir, à l’image d’une soirée Netflix où l’on passe plus de temps à se demander ce qu’on veut regarder plutôt que de regarder quelque chose.

La faute à Google ?
L’exemple d’un journalisme sobre

Les médias sont d’ailleurs souvent cités comme les responsables de cette infobésité, cette effervescence de la surinformation et des contenus de médiocre qualité que leur a imposé le web.

En ligne, les médias se sont en effet retrouvés pris au piège de la course au clic. Pour s’en sortir, il a fallu plaire aux algorithmes de Google en créant des contenus façonnés pour le moteur de recherche afin d’être sûr d’être référencé, devenir visible et être cliqué.
Les journalistes n’ont plus écrit pour leur lectorat mais pour les robots de Google et sans le savoir, ont uniformisé leurs textes si bien que les articles en ligne semblaient tous se ressembler et se valoir. Petit à petit ils ont inondé le web, parfois sans qu’il n’y ait de sources, parfois de manière superficielle pour aller plus vite et produire davantage.

En réponse à cette situation, des journalistes soucieux de contenus de qualité se sont revendiqués d’un journalisme plus noble et ont ralenti cette cadence frénétique : ils se sont mis à publier fièrement de longs reportages plus détaillés, plus analytiques, sur papier, en grand format.
De cette envie d’approfondir les sujets en prenant le temps de les écrire, ils ont donné envie à un tout nouveau lectorat de prendre le temps de les lire. C’est ce qu’on a appelé le slow journalism.

En tête de gondole de ce phénomène, le magazine XXI – et son intriguant manifeste – se sont imposés dans un univers médiatique en pleine crise où la presse cherchait péniblement son modèle économique en ligne.

Cette tendance slow s’est propagée – les italiens ont créé la slow food – et s’est constituée toute une armée de résistants prêts à lever le pied sur la pédale de l’infobésité. D’autres médias ont d’ailleurs suivi cette tendance et ont vu le jour à l’instar du magazine 1, 6 mois ou Usbek & Rica et se targuent aujourd’hui de montrer que leurs lecteurs existent, qu’ils sont de plus en plus nombreux et prêts à payer pour des informations de qualité sur papier.

Du slow journalism au slow content

Qu’en est-il aujourd’hui ? Le web est-il occupé par des gens pressés en quête de snack content à grignoter entre deux arrêts de métro ? Non. Un village peuplé d’irréductibles créateurs et consommateurs de contenus conscients et responsables résiste encore et toujours à l’envahisseur.

La tendance slow n’a pas épargné le monde de la communication et du marketing. Les entreprises sont désormais conscientes – pas toutes – qu’elles pourraient et devraient produire moins de contenus mais mieux. Certes le référencement est nécessaire pour gagner en visibilité et les entreprises auront toujours besoin de se plier au maître Google pour daigner exister sur le web. Toutefois, n’y a-t-il vraiment aucun compromis ?

Progrès ou non, personne n’aime – et n’aimera – lire des contenus construits pour des robots. Les entreprises ont tout intérêt à rendre leurs contenus moins fréquents mais plus réguliers, plus adaptés, plus profonds, plus humains de manière à – vraiment – intéresser leurs clients – et donc à les fidéliser. On s’éviterait une bonne fois pour toute les articles de blog remplis de mots-clefs et les contenus éculés à la “5 astuces pour booster votre activité et exploser votre CA”. Pourquoi pas. On prouverait au passage qu’il est possible de respirer sur le web tout en construisant et consommant des contenus intelligents, voire inspirants.

La revendication d’un numérique plus sobre tant dans la création que dans la consommation des contenus retentit de plus en plus chez les personnes en quête d’un web éthique, moins frénétique, réfléchi et intelligent.

Cette mentalité sobre et slow – croissante on l’espère – a le mérite d’inciter à des comportements en ligne pouvant lutter contre une forme de pollution qu’on mentionne peu, bien que de plus en plus : la pollution numérique. Peut-être entrons-nous dans une nouvelle ère, celle de l’écologie digitale.

L’écologie digitale contre la pollution numérique

On a cru à tort que le numérique nous aiderait à diminuer notre impact énergétique. Or, ce secteur contribue au contraire à l’augmentation des gaz à effet de serre par sa consommation d’énergie et de métaux.

  • 1h de vidéo sur smartphone = 1 frigo allumé pendant 1 an
  • 1 email avec pièce jointe = 1 ampoule allumée pendant 24h

On pollue tant que ça sur internet ?

Comme l’explique la brillante Inès Leonarduzzi dans le (très) bon podcast de génération XX, la pollution numérique se définirait en trois volets :

  • Lors de la fabrication des appareils électroniques. Les fabricants utilisent des matériaux et minerais rares comme le lithium ou le coltan, ce dernier étant utilisé par exemple pour les condensateurs des smartphones. (On notera qu’au passage, 80% du coltan est extrait au Congo dans des mines souvent illégales où travaillent des enfants et où son commerce est source de conflit).
  • Nos pratiques digitales au quotidien : dans les transports, la rue, à la maison et en entreprise. Chaque requête google correspond à 5g de CO2 qu’on rejette dans l’atmosphère. 20g pour un email.
  • Le manque de recyclage des appareils électroniques. Les déchets d’équipements électriques et électroniques dorment et on ne sait pas s’en servir pour construire d’autres appareils.

La vidéo et l’email : le fléau de la pollution numérique

Le visionnage de vidéos en ligne a généré en 2018 autant de gaz à effet de serre que l’Espagne, c’est à dire 1 % des émissions mondiales”. C’est ce que révèle le rapport du think tank The shift project dans lequel on apprend aussi qu’avec ses vidéos en ligne, l’industrie du porno rejetterait à elle seule 82 millions de tonnes de CO2 chaque année.

On sait aussi que chaque minute, 400h de vidéos sont téléchargées sur YouTube. Alors, pour sensibiliser les créateurs de contenus vidéos, le groupe de travail a créé un guide pour réduire le poids des vidéos sans en altérer la qualité.

L’email est également un sacré pollueur. Pour reprendre les mots d’Inès Leonarduzzi : “L’email est une requête, tout comme l’est une recherche google, c’est à dire une info numérisée, chiffrée, codée qui voyage dans des fibres de l’épaisseur de mes cheveux et parcourt 1500 km depuis et vers les data centers qui se trouvent aussi dans les sols marins, le cloud n’est pas dans les nuages !

Le coût carbone d’un email qui parcourt les 1500 km avec une pièce jointe d’1 Mo serait de 19 grammes de CO2.

Comment réduire l’impact énergétique en ligne ?

Opter pour une consommation durable du numérique est une idée qui fait son chemin. Il ne s’agirait pas de ne plus consommer de numérique ni de ne plus acheter d’ordinateur mais de changer notre façon de consommer en revenant à des pratiques plus locales et en accord avec nos besoins.

Que faire si vous êtes une entreprise ?

Recycler les contenus : chaque article publié peut être réutilisé, modifié, enrichi, à la lumière des nouvelles tendances ou accompagné d’un autre format ou d’un nouveau point de vue pour renaître et servir à nouveau.

Les entreprises peuvent aussi choisir des outils moins polluants, avoir recours à des moteurs de recherche éthiques et éviter certains comportements digitaux polluant comme l’envoi de pièces-jointes par e-mail par exemple.

Des data centers plus éco responsables ont vu le jour, alimentés avec des énergies renouvelables. La chaleur qu’ils produisent peuvent chauffer des bâtiments, bureaux et espaces publics, comme c’est déjà le cas de cette piscine parisienne.

Réduire la pollution numérique à votre échelle

Sans forcément vous couper du monde ou stopper d’envoyer des emails, voici quelques habitudes que vous pouvez prendre et qui n’ont rien de compliqué :

Vos emails

  • Supprimez les emails qui ne vous servent plus et nettoyez régulièrement votre boîte mail. Désabonnez-vous des newsletter que vous ne lisez jamais (et plantez des arbres au passage)
  • Évitez d’envoyer des emails trop volumineux ou de recourir aux pièces jointes. Préférez un service comme WeTransfer ou compressez vos pièces jointes avant de les envoyer.
  • Envoyez le moins d’emails groupés possible : 1 email envoyé à 10 personnes équivaut à 4 fois l’impact environnemental d’un email envoyé à 1 personne.

Sur internet

  • Si vous connaissez l’adresse du site où vous voulez vous rendre, tapez-la directement dans la barre ou faites-en un favori. À chaque requête que vous tapez dans Google, vous envoyez environs 6 grammes de CO2 dans l’atmosphère.
  • Évitez d’ouvrir plusieurs onglets à la fois. Cette pratique consomme beaucoup d’énergie. Dans la journée, les pages se rechargent toutes seules toutes les 15 minutes. A chaque fois, c’est comme si vous faisiez une nouvelle recherche. Imaginez si vous gardez pleins d’onglets ouverts pendant plusieurs jours !
  • Vous pouvez désactiver la lecture automatique de vidéos sur les réseaux sociaux.
  • Limitez votre utilisation de sites de vidéo à la demande ou choisissez une résolution plus petite. Évitez de regarder la télévision en ligne.

Vos appareils

  • Plus vous stockez des fichiers sur votre ordinateur, plus il consomme. Supprimez les fichiers inutiles ou qui ne vous servent pas et faites ce nettoyage régulièrement.
  • Ne rachetez pas d’appareil tant que le vôtre fonctionne encore. De manière générale, prolongez la durée de vie de vos ordis en les réparant ou en achetant de l’occasion ou des gammes robustes sans obsolescence programmée.
  • Choisissez l’appareil qui convient à vos besoins. Si vous n’avez pas besoin de gros logiciels et que votre consommation se résume à l’usage d’internet, préférez une tablette, moins gourmande en énergie qu’un ordinateur.
  • Éteignez vos appareils et votre box internet quand vous ne vous en servez plus.
  • Ne chargez pas votre téléphone la nuit mais faites-le avant de vous coucher, ou après. Une heure ou deux suffisent en moyenne pour recharger les smartphones.

Le mot de la fin

Régime numérique, slow content, écologie digitale, pollution numérique…on le sait, ça fait beaucoup de termes, quelques anglicismes et pas mal de problématiques abordées dans un seul article.

C’est que le thème nous passionne comme on espère qu’il vous inspire tout autant.

L’ambition n’est pas d’avoir réponse à tout – même si on aimerait – mais elle est surtout de mettre des mots sur des pratiques qui ont du sens et qui ont au moins le mérite de ne plus nous laisser les bras ballants face à l’évolution d’un internet qui peut sembler parfois déconcertant.

C’est au contraire une manière de prendre part à la construction de cet espace numérique qu’est le web et de lui attribuer une éthique, responsable et en phase avec nos valeurs, afin de reprendre le contrôle et continuer à réfléchir, échanger, et s’enrichir librement grâce aux contributions des uns et des autres.

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